À l'aube du XVIIIe siècle, Antoine Galland révélait à l'Europe le premier grand chef-d'oeuvre de la littérature en langue arabe : Les Mille et une nuits, porte ouverte sur un nouveau monde et sur une culture du conte originale. Émerveillé, l'Occident découvrit les voyages de Sindbad, les aventures d' Aladdin et les tribulations d'Ali Baba. Galland était un orientaliste ; après avoir traduit bon nombre de manuscrits syriens du Moyen Âge et recueilli d'antiques contes arabes, il sut les adapter à la culture française, et composer de nouvelles histoires. Galland, traducteur-auteur, a ainsi participé à la formation des Mille et une nuits : introduisant dans la pensée et le conte français une oeuvre orientale, il créait dans la pensée et le conte oriental une oeuvre française. De cette hybridation heureuse, ce livre nous propose de retrouver les fruits abondants, le charme des anti-héros, un réalisme enchanté, un style inédit de littérature populaire, des héroïnes entre sérail et salon.
Marivaux s'est-il occupé de mettre en scène ses pièces? Non pas matériellement certes, mais il écrit en pensant à la scène. Seule la présence des acteurs sur les planches permet de saisir une expérience vécue. Elle seule rend sensible la violence des relations, la joie d'être ensemble ou le bonheur de l'amour. Inspiré par l'oeuvre des plus grands (Molière, Regnard, Racine, Perrault, Prévost), Marivaux fait de ce passage à la scène une science de l'homme. Avec ses interprètes et les spectateurs, il découvre le sujet moderne dans l'inconstance des désirs et la concurrence des appétits.Cette lecture de l'ensemble du théâtre de Marivaux propose de restituer une dramaturgie à vocation anthropologique. Elle considère l'action qui se forme devant le public, l'espace de la scène investi par les regards et les rencontres, le temps de la représentation appréhendé par les personnages et médiatisé dans le rythme syncopé des dialogues. Les pauses de la rêverie y alternent avec les bruits de la ville.
Le Petit Chaperon rouge, La Barbe bleue, La Chatte blanche, La Belle et la Bête : autant de titres gravés dans nos mémoires. Par un coup d'audace, des hommes et des femmes de lettres s'emparèrent, en plein âge classique, de ces contes transmis de bouche à oreille pour les transformer en oeuvres d'art. On leur reproche parfois d'être désuets, misogynes, moralisateurs ; on ne voit plus à quel point ils ont été novateurs, féministes, libertaires, nostalgiques d'une enfance avide de mirifique. Voici cet éventail de contes pour la première fois exploré dans toute sa diversité. On voit Perrault et ses amies exploiter le fantastique pour dénoncer l'oppression des femmes, Galland réunir les aventures merveilleuses et licencieuses des Mille et une nuits, ses confrères orientalistes accumuler les trouvailles, pédagogues et philosophes inventer des récits prodigieux. Tous créent un genre nouveau tissant des liens subtils avec le récit libertin, le roman gothique et le conte moral. On découvre alors toute la force poétique de ces " compositions enchantées " qui conduisent à la pensée par le rêve, à l'émotion par l'artifice, au fantastique par le merveilleux.
C'est un joli tableau conservé à La Haye dans la collection de la Mauritshuis, tout près de La jeune fille à la perle de Vermeer. On y voit une femme endormie ; elle s'est cachée derrière un rocher, à l'abri de la végétation, pour profiter d'un moment de repos. Toute son attitude est relâchée, son corps détendu, sa tête renversée, ses yeux clos : elle est visiblement fatiguée de la chasse qui a dû l'entraîner jusque-là, puisqu'on remarque son arc, son carquois et ses flèches déposés à ses côtés.
Le XVIIIe siècle constitue un moment charnière dans l'histoire du roman français : le genre se diversifie et son public s'élargit, alors même que s'élabore une importante réflexion théorique à son sujet. Plus que jamais il fait l'objet de discussions et de débats, qui contribuent au développement d'une véritable culture du roman. Cependant, la définition du roman que propose le discours poétique officiel - articulé par les traités d'éloquence ou de belles-lettres - s'appuie pour l'essentiel sur des notions élaborées au siècle précédent. Exilée de ces lourds volumes qui constituent pour nous son milieu naturel, l'élaboration d'une pensée critique sur le (nouveau) roman doit dès lors occuper d'autres espaces, investir d'autres lieux. Ce dossier entend explorer quelques-uns de ces lieux et de ces moyens de la réflexion romanesque des Lumières - du discours pédagogique ou moralisateur aux panoramas urbains, en passant par les romans eux-mêmes, point de convergence des différents discours qui s'attachent au genre.
En 1982, dans un article au titre en forme de paradoxe, Aron Kibédi Varga affirmait que « le roman est un anti-roman » - autrement dit, que le roman (ou, plus exactement, le roman « moderne ») trouverait son origine, non dans les romans du Moyen Âge et de l'Ancien Régime, mais dans les textes qui ont pris position contre le romanesque « traditionnel ». Cette analyse procède d'une lecture historique « progressiste », voire téléologique, des genres littéraires qui repose, le plus souvent, sur une méconnaissance des romans du Moyen Âge et de l'Ancien Régime. En cherchant à approcher la poétique du genre à partir d'une lecture attentive de nos « vieux romans », il semble que la forme romanesque se définisse essentiellement à travers les procédés de subversion générique qui ponctuent son histoire; les jeux spéculaires donnent ainsi à lire la définition du roman par les romanciers eux-mêmes. Depuis les successeurs immédiats de Chrétien de Troyes jusqu'à Jean-Jacques Rousseau, en passant par les romans de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance, ou par ceux de l'âge classique et des Lumières, le ludisme intertextuel révèle sa position centrale dans la définition du genre. Contre l'idée fort répandue d'une naissance du roman qui attendrait une oeuvre inaugurale (Don Quichotte, par exemple), les contributions des spécialistes réunis pour ce numéro laissent voir que les « vieux romans » seraient (toujours) déjà des antiromans.